Extrait de l’intervention de Robert Steuckers lors du colloque de “Terre & Peuple – Wallonie”, Château Coloma, 16 novembre 2003.
Trois faisceaux d’embûches semblent entraver actuellement le processus de construction européenne et l’avènement d’un véritable “Axe Paris-Berlin-Moscou”. Ce sont les suivants:
* 1. Les systèmes de renseignement américains, et les satellites de contrôle qu’ils alignent dans l’espace circumterrestre, permettent aux stratèges du Pentagone d’avoir la mainmise quasi complète sur l’information médiatique à l’échelle de la planète entière. François-Bernard Huyghe a rendu compte de cette situation dans un ouvrage très important: L’ennemi à l’heure numérique. Chaos, information, domination (PUF, Paris, 2001). Ce livre deviendra un classique de la pensée stratégique contemporaine. Il importe de le lire, de le relire, de le méditer et de le faire connaître pour apprendre à nos concitoyens à décrypter les pièges de la propagande médiatique universelle qui vise à confisquer à tous les peuples de la Terre, et donc aussi aux peuples européens, le sens du réel, de la réalité historique et géopolitique, dans laquelle ils s’inscrivent depuis des millénaires.
* 2. Notre Europe est effectivement soumise à une “guerre cognitive” systématique, dont le premier impératif est de forger des “armes de la connaissance”. Les écoles anglo-saxonnes excellent en ce domaine: elles parviennent, sur base de travaux universitaires très sérieux et bien étayés, à développer des propagandes simplistes, gobées à grande vitesse par les opinions publiques de tous les pays du monde. L’Europe actuelle, démissionnaire, est à la traîne. Le personnel politique qui la gère, sans vraiment la gouverner, ne juge pas opportun de se doter d’instituts historiques de même valeur, capables de forger, pour l’Europe, une vision cohérente et pragmatique de l’histoire. Au contraire, les idéologies dominantes, qui s’agitent au sein des institutions européennes, estiment que l’histoire est un fardeau du passé, dont il convient de se débarrasser, notamment en ne l’enseignant plus correctement dans les écoles. Or, en politique, et plus encore en “grande politique”, les armes de la connaissance sont essentiellement les armes de la connaissance historique; à terme, ce sont elles qui, bien maîtrisées, procurent la victoire. Eugène de Savoie a vaincu les Turcs et sauvé l’Europe grâce à ses excellentes connaissances historiques. Clausewitz et ses disciples insistent également sur la nécessité de bien connaître l’histoire pour forger des stratégies efficaces.
* 3. L’Europe de Bruxelles et de Strasbourg n’est pas suffisamment attentive aux phénomènes de guerre indirecte. Xavier Raufer, sur ce chapitre, insiste très fort sur le rôle des mafias et du terrorisme fabriqué, dans son dernier ouvrage, Le grand réveil des mafias (J. C. Lattès, Paris, 2003). Xavier Raufer nous apprend à identifier l’ennemi mafieux, grâce à un vademecum clair et succinct; il nous démontre que les dangers mafieux sont occultés, notamment par les Etats-Unis, qui ont subi, et accepté, un “véritable tropisme mafieux”, qui nous permet de parler sans hésitation et sans paranoïa inutile, d’une véritable fusion politique/mafias; outre les drogues et la prostitution, l’industrie américaine du porno alimente les caisses des mafieux et, par voie de conséquence, les caisses noires de certains “services spéciaux”. Les pages que consacre Raufer aux mafias turques sont très instructives et démontrent bien la collusion américano-turque en ce domaine. Et nous indiquent deux pistes pour contester la présence turque au sein de l’UE et son maintien dans l’OTAN.
Sur le premier faisceau d’embûches:
Les systèmes médiatiques américains utilisent ce que François Bernard Huyghe appelle les “quatre arts martiaux” que sont
1) L’ART D’APPARAÎTRE, de dire la guerre, de la montrer, de la narrer (tout en excluant toute autre narration possible), de truquer le récit dans le sens voulu; il s’agit d’organiser des “psyops” ou “psychological operations” destinées à répandre dans le monde la “bonne doctrine” en combinant adroitement récits, photographies et films, comme nous l’avons vu lors de l’affaire de Timisoara en Roumanie en 1989 ou lors du conflit kosovar en 1999;
2) L’ART DE TROMPER, autrement dit l’art d’utiliser la désinformation, de répandre des médisances contre l’ennemi désigné comme tel dans l’ensemble du “village global”; il s’agit essentiellement d’appliquer à la stratégie contemporaine l’”art des illusions” déjà préconisé par le stratège de l’antiquité chinoise, SunTzu; l’objectif est d’altérer la perception de la réalité chez l’ennemi et de provoquer, chez lui, une décision erronée; en ce sens, la “désinformation consiste à propager délibérément des informations fausses pour influencer une opinion et affaiblir un adversaire”;
3) L’ART DE SAVOIR, c’est-à-dire d’exercer une surveillance ubiquitaire, notamment via le réseau ECHELON, selon le principe avéré: «Qui verra, vaincra»; l’objectif est de collecter systématiquement des informations utiles, via des satellites ou des “logiciels renifleurs”, tout en poursuivant des finalités diverses: frapper à moindre risque un ennemi moins bien informé, garder les “bonnes” informations stratégiques pour soi, intoxiquer l’adversaire;
4) L’ART DE CACHER, ou de dissimuler ses intentions derrière un rideau opaque de contre-informations. En clair, il s’agit d’organiser la prolifération d’informations inutiles ou redondantes afin de conserver secrètes celles qui importent vraiment et de les utiliser, le cas échéant, contre un adversaire qui les ignore.
Exercer ces quatre arts martiaux, à l’heure actuelle, implique de disposer d’un réseau satellitaire performant: c’est le cas des Etats-Unis et non pas de l’Europe, d’où le nanisme politique et militaire de l’Union Européenne. Celle-ci n’a jamais appliqué les “quatre arts martiaux” que Huyghe a mis en exergue.
Sur le deuxième faisceau d’embûches:
Pour l’équipe de l’armée française dirigée par Christian Harbulot, la suprématie cognitive découle d’une doctrine de la domination douce. Ces officiers et stratèges français constatent que les Etats-Unis ne raisonnent pas, en ce domaine, en termes d’alliés, d’ennemis et de “neutres”, mais, plus prosaïquement, plus simplement, en termes d’«audiences étrangères», qu’il convient de manipuler, d’influencer et de pervertir. Les objectifs des “opérations cognitives” américaines sont donc
1) de créer les conditions intellectuelles et psychologiques optimales, pour pouvoir prendre rationnellement les bonnes décisions au bon moment (puisqu’on a sélectionné et trié le bon savoir utile, selon les règles du “troisième art martial”, analysé par Huyghe;
2) d’empêcher les autres d’en faire autant, après les avoir abreuvé de fausses informations, de fausses valeurs, etc.;
3) d’obtenir des “cibles” qu’elles adoptent le comportement voulu. Cette méthode générale de la guerre cognitive, actuellement pratiquée par les Etats-Unis, ne peut réussir que s’il y a longue préparation (“Shaping the mind”). Il s’agit bel et bien d’une stratégie globale mûrement réfléchie, depuis des lustres, qui vise la colonisation totale de la sphère des idées, la conquête de la “noosphère”, dans le jargon des initiés. L’objectif final est de créer une superstructure normative mondiale, qui va définir la réalité humaine de manière uniforme, tout en abondant, bien entendu, dans le sens de la politique américaine. C’est l’application, à l’heure des médias électroniques, d’une stratégie culturelle commencée avec le cinéma de Hollywood, dès la fin de la seconde guerre mondiale en Europe et en Asie.
L’Europe, qui, comme le reste du monde, est la cible de cette stratégie, ne peut riposter qu’en méditant les mêmes principes. Cela signifie, avant toute chose,
1) de se réapproprier sa propre histoire, d’en connaître les dynamiques fécondes et les dynamiques perverses, qui mènent à l’implosion; et cela implique aussi,
2) d’explorer l’histoire de l’adversaire pour faire émerger, chez lui, sur son territoire, des conflits paralysants. En clair, il s’agirait, pour des stratèges européens cohérents, d’exploiter les colères des Noirs américains ou de soutenir habilement les mouvements de contestation intérieurs aux Etats-Unis.
Autre exemple de manipulation particulièrement réussie, bien mise en exergue par Harbulot: le succès médiatique accordé au fameux livre de Toni Negri et Michael Hardt, intitulé Empire, et considérée par les journaux new-yorkais comme “la plus grande théorie alternative du 21ième siècle”. En effet, cet ouvrage préconise l’émergence d’un vaste réseau de micro-contestations émiettées, qui rejettent toute forme de nationalisme ou de continentalisme, c’est-à-dire qui ôtent d’avance toute assise territoriale à la contestation du globalisme américano-centré. Or sans assise territoriale, il est impossible de s’opposer à Washington. La guerre cognitive permet donc au système médiatique, au service de l’impérialisme et du globalisme américain, d’offrir aux altermondialistes une théorie toute faite qui va les induire en erreur et les condamner au sur-place. Le pouvoir mondial réel coupe ainsi l’herbe sous les pieds de la contestation contemporaine orchestrée par la nouvelle gauche altermondialiste et induit dans ses rangs un ferment idéologique de dissolution permanente, difficilement éradicable (cf. Christian Harbulot & Didier Lucas, La guerre cognitive. L’arme de la connaissance, Lavauzelle, Panazol, 2002).
Sur le troisième faisceau d’embûches:
Les guerres indirectes se mènent généralement selon les critères des “conflits de basse intensité” (ou, en anglais: low intensity warfare). L’exemple d’école le plus récent est la guerre dite des “Contras” menée dans les années 80 contre le gouvernement sandiniste au Nicaragua. Mais, pour Xavier Raufer, les “guerres de basse intensité” ne se bornent pas à la seule stratégie d’armer des groupes insurrectionnels dans les pays visés, mais aussi à y entretenir des réseaux mafieux, qui disloquent la cohérence politique, qui servent d’éventuels réseaux d’espionnage et de sabotage. Xavier Raufer nous rend attentifs à une longue histoire, édulcorée et occultée: celle de l’étroite imbrication entre le pouvoir américain et les réseaux mafieux italiens. En effet, la mafia sicilienne, constate-t-il, fait partie intégrante du pouvoir américain. Xavier Raufer nous en montre les mécanismes et explique que les structures mafieuses se déploient à merveille dans les systèmes néo-libéraux, institués justement pour permettre cette fluidité qui arrange bien des “services”. Dans la partie historique de sa démonstration, il rappelle que la mafia est un relais en Europe de la puissance américaine depuis 1943, quand les services spéciaux de Washington ont fait appel à Lucky Luciano, emprisonné en Amérique, pour oganiser le débarquement allié en Sicile.
En Belgique, nous avons affaire à trois autres réseaux mafieux, non italiens, particulièrement efficaces: les réseaux marocains, turcs et albanais. Tous trois sont stratégiquement liés aux Etats-Unis et à l’OTAN, notamment par la fusion mafias/armée qui règne en Turquie et par la quasi identité entre l’UCK albanaise et les mafias locales. Quant au Maroc, vieil allié des Etats-Unis, il constitue le pion principal du dispositif stratégique des Etats-Unis en Afrique du Nord: le financement de ce pays s’effectue par le trafic du cannabis en direction de l’Europe (70% de ce stupéfiant consommé en Europe provient effectivement de la région du Rif). Les mafias ont pour objectif de déstabiliser les sociétés européennes, leurs structures politiques (on le voit clairement au niveau de la justice), leurs économies. Elles permettent en outre de réaliser des opérations boursières déstabilisantes, de s’ancrer sur le marché de l’immobilier, d’amasser un argent incontrôlable, de constituer des réseaux d’espionnage, d’armer des structures terroristes, de commettre des assassinats si besoin s’en faut. La non élimination de tels réseaux nous condamne à n’être que les objets misérables d’une stratégie de guerre indirecte particulièrement pernicieuse. Mais dont on voit les résultats: déliquescence totale de la sphère publique, avec la bénédiction d’un personnel politique, manifestement lié à ces réseaux. La peur d’éventuels partis politiques challengeurs est motivée essentiellement par le risque de voir l’édifice en place remis complètement en question, surtout si les partis challengeurs en question annoncent qu’ils feront la guerre à la drogue, cheval de bataille des mafias marocaines et turques. Les officines anti-racistes, qui font tant de tintamarre dans les médias, n’ont pas pour objectif réel de protéger des citoyens de souche étrangère qui seraient les victimes innocentes d’une vindicte gratuite, mais, plus précisément, de décréter “raciste” toute position critique à l’égard du pouvoir occulte, illégal, mais réel, des diverses mafias ancrées dans la réalité belge. Les officines anti-racistes sont un bel exemple du “quatrième art martial” selon Huyghe: l’art qui consiste à dissimuler ses intentions réelles derrière un écran de fumée idéologico-médiatique.
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